Les cloches de l'église Saint Cybard à Tamniès par Micheline Weil, mars 2019



Le clocher de l’église St Cybard, à Tamniès, renferme deux cloches. Le chantier entrepris pour réparer et recouvrir la toiture de la nef et du clocher en lauzes vient de les mettre en lumière et nous rappeler qu’une cloche d’église n’est pas juste une sonnaille. Elle avait autrefois un rôle important pour prévenir la population d’évènements tristes ou gais concernant les familles de la paroisse : mariages, deuils, baptêmes, mais aussi pour avertir la population en cas  d’incendie, d’approche d’un ennemi,  déclarations de guerre ou armistices, mais il ne faut pas perdre de vue que les cloches avaient en premier lieu un rôle religieux : avertir les paroissiens des offices, messes, vêpres, angelus, qui rythmaient les journées, et égrener au fil du temps les grandes fêtes religieuses.

Elles avaient une personnalité propre, un nom car elles étaient baptisées, et la décision de faire fondre (ou parfois refondre) une cloche n’était pas une mince  affaire : le matériau était cher, la qualité du bronze hasardeuse, le fondeur rare.

Dans un premier temps, le déchiffrage des textes et différents ornements a été  compliqué car elles étaient très sales, les oiseaux ayant fait du clocher un logis de choix ! Mais grâce à la courageuse équipe du Petit Patrimoine, qui les a lavées, et nettoyées de leur carapace de saleté, elles ont retrouvé leur couleur et un lustre qui permettent de lire correctement les textes inscrits.

Nos deux cloches sont de taille et d’âge différents et seront étudiées séparément.



1.    La petite cloche

 

 


Dans ses notices sur les églises du Périgord, (L’ancien et le nouveau Périgord), l’Abbé Brugière indique que cette cloche date de 1836 et pèse 500 livres, soit 250 kg. Il ne mentionne pas d’autre cloche à Tamniès. La hauteur totale de cette cloche est de 69 cm et le diamètre à la base est de 73 cm. Mais elle est la plus bavarde car elle porte de nombreuses inscriptions, en particulier le nom de plusieurs habitants de Tamniès et leur place ou occupation au sein de la paroisse, ou même ailleurs.

Ces inscriptions nous apparaissent sous forme de texte écrit avec des lettrines en relief ceignant le haut de la cloche sur quatre lignes :
                                                                                     
La première ceinture, la plus élevée, est une courte inscription latine : « Impleat dominus omnes petitiones tuas »,  que le Seigneur exauce tes demandes… Texte bref  sans autre explication. Il est extrait d’un psaume de David.

Les 2ème et 3ème   ceintures nous parlent beaucoup plus : Bénite en Août 1836 par Mr. Athanase Delranc, curé. Fut parrain Mr. Louis Merilhou, marraine Madame son épouse, née Secrestat , Maire Mr. François Labattut, Adjoint Mr. Paul Arnaud, Mr…

Et la suite sur la 4ème ceinture : Charles de Vins, Consul,
La fin de la ligne  ne porte plus d’inscription.


Chacune des ceintures est séparée et mise en valeur par deux cercles en relief. 



Plus bas on trouve encore l’image d’une vierge à l’enfant, avec un sceptre à fleur de lys, rehaussée par un socle orné de fleurs et de volutes. Il semble y avoir une inscription illisible à ses pieds.
 Et, diamétralement opposée, une image de sainte,  dont le nom est gravé en-dessous : Sainte Philomène. Le bord de cette cloche est renforcé par trois cercles en relief.



Généralement chaque fondeur, fier de son ouvrage, le signait. Bien que marqué par l’usure du temps il a pu être déchiffré, au bas de la cloche : FORGEOT Fondeur.

Nicolas Joseph Forgeot était un fondeur lorrain ambulant né en 1797. Il a voyagé dans le Cher, l’Indre, la Vienne, la Charente et, entre autres, en Dordogne. En 1835 il se dit habitant ordinairement en Dordogne et se trouve à Périgueux. Etant fondeur « ambulant », il est probable, que la cloche a été réalisée sur place à Tamniès.
D’après les Enquêtes Campanaires de Berthelé, ce n’était pas un personnage très recommandable, plutôt malhonnête, buveur et paresseux. Est-ce la raison pour laquelle la cloche n’est pas répertoriée dans cet ouvrage ?... et cependant elle sonne encore !

Qui sont donc ces personnes nommées sur la cloche ?

En 1836 le recensement de Tamniès mentionne le curé Athanase Delranc (30 ans), et la servante Marie Magne, âgée de 48 ans, qui sont logés au bourg dans la même maison que l’instituteur Jacques Revel (peut-être l’ancien presbytère). C’est donc ce prêtre qui officie lors du baptême de la cloche.

Le couple parrain-marraine a vraisemblablement contribué aux frais. La cloche doit avoir le prénom de l’un ou l’autre mais cela n’est pas clairement indiqué. Le couple était propriétaire de la Catie. Louis Merilhou était né à Montignac, d’une famille de notables et était Sous-Préfet à Sarlat de 1830 à 1833. Sa femme avait apporté la Catie en dot, elle était la descendante d’une des plus anciennes familles de Tamniès. En 1836 ils  n’habitent pas à la Catie, où sont recensés 2 ou 3 familles de « métayers de Monsieur Merilhou ».

Quant  à François Labatut et Arnaud Paul,  ce sont les notables institutionnels : la famille Labatut a donné plusieurs maires à Tamniès depuis la Révolution, dont le premier maire. Arnaud Paul, son adjoint, est par contre plus récent dans la commune et doit sa notoriété au fait qu’il est docteur en médecine, ancien Officier de Santé des armées de Napoléon et est ensuite venu habiter à La Rivière. Il est un peu curieux de trouver leur nom écrit avec leur fonction, éminemment laïque, sur la cloche.

Le plus étonnant des personnages nommés est Charles de Vins, « Consul ». Il est Sieur du Masnègre et Marquis de Peyzac, l’un des derniers descendants de la famille de Vins du Masnègre. Il a lui aussi vraisemblablement  contribué par un don important à cette cloche. En 1836 il était depuis deux ans Consul général de France à Buenos Aires, en Argentine, après avoir été consul dans divers pays. Il a reçu un nombre impressionnant de décorations tant françaises qu’étrangères et a négocié plusieurs contrats commerciaux intéressants pour la France. Mais il est décédé brusquement « en pleine santé » à Buenos-Ayres fin mai 1836.

La petite cloche nous a livré quelques-uns de ses secrets, qu’en est-il de la grosse ?


2.    La grosse cloche




Nous n’avons pas son poids mais elle mesure 86 cm de hauteur totale et le diamètre à la base est de 90 cm. En meilleur état que la précédente, le texte en était lisible, même avant son nettoyage.

« Vocavit nomen ejus Joseph. Tu eris super domum meam et ad tui oris imperium cunctus populus obediet. » Ite ad Joseph.

« (Elle) lui donna le nom de Joseph : tu seras  (celui)  qui aura l’autorité sur ma maison (tu seras le premier) et quand tu ouvriras la bouche pour commander, le peuple obéira.  (Peuple) va vers Joseph. »
                                                      
Il s’agit d’une citation de la Bible (La Génèse), au moment de la naissance de son fils, la mère de Joseph lui donne son prénom et annonce sa future fonction de chef de la lignée. C’est donc le nom que reçoit cette cloche lors de son baptême, auquel s’ajoute la recommandation faite aux fidèles, ou plutôt l’ordre, « d’aller vers Joseph », d’aller à l’église.

Puis vient la date de 1880. Les Anciens du village savent encore qu’elle a été baptisée avec l’eau de la fontaine du Castanet.
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Les lettrines sont écrites avec soin et encadrées d’un rinceau. L’ensemble est mis en valeur par deux frises, au-dessus des palmettes et au-dessous, une élégante  frise de pampres, grappes de raisins et volutes. Il s’agit d’un travail soigné et exécuté par un fondeur expérimenté.

La dédicace tient sur deux lignes, et les fondeurs ont écrit leur nom et origine très clairement, sur toute la hauteur des deux lignes, dans un cartouche ovale : Fondue par TRIADOU frères, à Villefranche Aveyron.


Plus bas on trouve bien dessinée une vierge à l’enfant, tenant dans sa main droite un sceptre. Plus loin une Vierge à l’enfant et diamétralement opposée, une crucifixion avec les deux Maries. Enfin une rangée de hautes palmettes épaisses court au bas de la cloche.

Cette cloche ne nous apprend rien de ses parrain et marraine, et la dédicace est plus brève que celle de la précédente. Mais le nom du ou des fondeurs est une référence en soi.

Il s’agit d’une famille de fondeurs de cloches « et sonnailles » très ancienne, originaire de l’est de la France. Les Triadou  s’installent à Rodez dès le début du XVIIIe siècle, les fils  se marient dans des familles de fondeurs, essaiment dans plusieurs villes de l’Aveyron où ils réalisent d’importants travaux de fonte de cloches. Certains sont restés célèbres à Montauban, Rodez, Toulouse ou Villefranche, et les Triadou de Villefranche ont perduré jusqu’au XXe siècle.

Pourquoi ces fondeurs connus ont-ils réalisé une cloche pour l’église du petit village de Tamniès ? Et pourquoi le ton impératif de la dédicace ? Autant de petites questions auxquelles des archives écrites permettront peut-être de répondre un jour.
 
Mais gageons que ces deux cloches, maintenant toutes belles et brillantes, seront le « point sur le i » de l’église restaurée de Tamniès, et feront joyeusement honneur au clocher, lorsque les importants travaux des lauziers et les réparations intérieures seront terminés.  Merci au « Petit Patrimoine » de m’avoir aidée à les lire et de m’avoir fourni les belles photos : Un vrai travail d’équipe, finalement.