Le clocher de l’église St Cybard,
à Tamniès, renferme deux cloches. Le chantier entrepris pour réparer et
recouvrir la toiture de la nef et du clocher en lauzes vient de les mettre en
lumière et nous rappeler qu’une cloche d’église n’est pas juste une sonnaille.
Elle avait autrefois un rôle important pour prévenir la population d’évènements
tristes ou gais concernant les familles de la paroisse : mariages, deuils,
baptêmes, mais aussi pour avertir la population en cas d’incendie, d’approche d’un ennemi, déclarations de guerre ou armistices, mais il
ne faut pas perdre de vue que les cloches avaient en premier lieu un rôle
religieux : avertir les paroissiens des offices, messes, vêpres, angelus,
qui rythmaient les journées, et égrener au fil du temps les grandes fêtes
religieuses.
Elles avaient une personnalité
propre, un nom car elles étaient baptisées, et la décision de faire fondre (ou
parfois refondre) une cloche n’était pas une mince affaire : le matériau était cher, la
qualité du bronze hasardeuse, le fondeur rare.
Dans un premier temps, le
déchiffrage des textes et différents ornements a été compliqué car elles étaient très sales, les
oiseaux ayant fait du clocher un logis de choix ! Mais grâce à la
courageuse équipe du Petit Patrimoine, qui les a lavées, et nettoyées de leur
carapace de saleté, elles ont retrouvé leur couleur et un lustre qui permettent
de lire correctement les textes inscrits.
Nos deux cloches sont de taille
et d’âge différents et seront étudiées séparément.
1. La petite cloche
Dans ses notices sur les églises
du Périgord, (L’ancien et le nouveau Périgord), l’Abbé Brugière indique que
cette cloche date de 1836 et pèse 500 livres, soit 250 kg. Il ne mentionne pas
d’autre cloche à Tamniès. La hauteur totale de cette cloche est de 69 cm et le
diamètre à la base est de 73 cm. Mais elle est la plus bavarde car elle porte
de nombreuses inscriptions, en particulier le nom de plusieurs habitants de
Tamniès et leur place ou occupation au sein de la paroisse, ou même ailleurs.
Ces inscriptions nous
apparaissent sous forme de texte écrit avec des lettrines en relief ceignant le
haut de la cloche sur quatre lignes :
La première ceinture, la plus
élevée, est une courte inscription latine : « Impleat dominus omnes
petitiones tuas », que le Seigneur
exauce tes demandes… Texte bref sans
autre explication. Il est extrait d’un psaume de David.
Les 2ème et 3ème ceintures nous parlent beaucoup plus :
Bénite en Août 1836 par Mr. Athanase Delranc, curé. Fut parrain Mr. Louis
Merilhou, marraine Madame son épouse, née Secrestat , Maire Mr. François
Labattut, Adjoint Mr. Paul Arnaud, Mr…
Et la suite sur la 4ème
ceinture : Charles de Vins, Consul,
La fin de la ligne ne porte plus d’inscription.
Chacune des ceintures est séparée
et mise en valeur par deux cercles en relief.
Plus bas on trouve encore l’image
d’une vierge à l’enfant, avec un sceptre à fleur de lys, rehaussée par un socle
orné de fleurs et de volutes. Il semble y avoir une inscription illisible à ses
pieds.
Et, diamétralement opposée, une image de sainte, dont le nom est gravé en-dessous :
Sainte Philomène. Le bord de cette cloche est renforcé par trois cercles en
relief.
Généralement chaque fondeur, fier
de son ouvrage, le signait. Bien que marqué par l’usure du temps il a pu être
déchiffré, au bas de la cloche : FORGEOT Fondeur.
Nicolas Joseph Forgeot était un
fondeur lorrain ambulant né en 1797. Il a voyagé dans le Cher, l’Indre, la
Vienne, la Charente et, entre autres, en Dordogne. En 1835 il se dit habitant
ordinairement en Dordogne et se trouve à Périgueux. Etant fondeur
« ambulant », il est probable, que la cloche a été réalisée sur place
à Tamniès.
D’après les Enquêtes Campanaires
de Berthelé, ce n’était pas un personnage très recommandable, plutôt
malhonnête, buveur et paresseux. Est-ce la raison pour laquelle la cloche n’est
pas répertoriée dans cet ouvrage ?... et cependant elle sonne encore !
Qui sont donc ces personnes
nommées sur la cloche ?
En 1836 le recensement de Tamniès
mentionne le curé Athanase Delranc (30 ans), et la servante Marie Magne, âgée
de 48 ans, qui sont logés au bourg dans la même maison que l’instituteur
Jacques Revel (peut-être l’ancien presbytère). C’est donc ce prêtre qui officie
lors du baptême de la cloche.
Le couple parrain-marraine a
vraisemblablement contribué aux frais. La cloche doit avoir le prénom de l’un
ou l’autre mais cela n’est pas clairement indiqué. Le couple était propriétaire
de la Catie. Louis Merilhou était né à Montignac, d’une famille de notables et
était Sous-Préfet à Sarlat de 1830 à 1833. Sa femme avait apporté la Catie en
dot, elle était la descendante d’une des plus anciennes familles de Tamniès. En
1836 ils n’habitent pas à la Catie, où
sont recensés 2 ou 3 familles de « métayers de Monsieur Merilhou ».
Quant à François Labatut et Arnaud Paul, ce sont les notables institutionnels :
la famille Labatut a donné plusieurs maires à Tamniès depuis la Révolution,
dont le premier maire. Arnaud Paul, son adjoint, est par contre plus récent
dans la commune et doit sa notoriété au fait qu’il est docteur en médecine,
ancien Officier de Santé des armées de Napoléon et est ensuite venu habiter à
La Rivière. Il est un peu curieux de trouver leur nom écrit avec leur fonction,
éminemment laïque, sur la cloche.
Le plus étonnant des personnages
nommés est Charles de Vins, « Consul ». Il est Sieur du Masnègre et
Marquis de Peyzac, l’un des derniers descendants de la famille de Vins du
Masnègre. Il a lui aussi vraisemblablement
contribué par un don important à cette cloche. En 1836 il était depuis
deux ans Consul général de France à Buenos Aires, en Argentine, après avoir été
consul dans divers pays. Il a reçu un nombre impressionnant de décorations tant
françaises qu’étrangères et a négocié plusieurs contrats commerciaux
intéressants pour la France. Mais il est décédé brusquement « en pleine
santé » à Buenos-Ayres fin mai 1836.
La petite cloche nous a livré quelques-uns
de ses secrets, qu’en est-il de la grosse ?
2.
La grosse cloche
Nous n’avons pas son poids mais
elle mesure 86 cm de hauteur totale et le diamètre à la base est de 90 cm. En
meilleur état que la précédente, le texte en était lisible, même avant son
nettoyage.
« Vocavit nomen ejus Joseph.
Tu eris super domum meam et ad tui oris imperium cunctus populus
obediet. » Ite ad Joseph.
« (Elle) lui donna le nom de
Joseph : tu seras (celui) qui aura l’autorité sur ma maison (tu seras
le premier) et quand tu ouvriras la bouche pour commander, le peuple
obéira. (Peuple) va vers Joseph. »
Il s’agit d’une citation de la
Bible (La Génèse), au moment de la naissance de son fils, la mère de Joseph lui
donne son prénom et annonce sa future fonction de chef de la lignée. C’est donc
le nom que reçoit cette cloche lors de son baptême, auquel s’ajoute la
recommandation faite aux fidèles, ou plutôt l’ordre, « d’aller vers
Joseph », d’aller à l’église.
Puis vient la date de 1880. Les Anciens du village savent encore qu’elle a été
baptisée avec l’eau de la fontaine du Castanet.
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Les lettrines sont écrites avec soin et encadrées d’un rinceau. L’ensemble est mis en valeur par deux frises, au-dessus des palmettes et au-dessous, une élégante frise de pampres, grappes de raisins et volutes. Il s’agit d’un travail soigné et exécuté par un fondeur expérimenté.
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Les lettrines sont écrites avec soin et encadrées d’un rinceau. L’ensemble est mis en valeur par deux frises, au-dessus des palmettes et au-dessous, une élégante frise de pampres, grappes de raisins et volutes. Il s’agit d’un travail soigné et exécuté par un fondeur expérimenté.
La dédicace tient sur deux
lignes, et les fondeurs ont écrit leur nom et origine très clairement, sur
toute la hauteur des deux lignes, dans un cartouche ovale : Fondue par
TRIADOU frères, à Villefranche Aveyron.
Plus bas on trouve bien dessinée
une vierge à l’enfant, tenant dans sa main droite un sceptre. Plus loin une
Vierge à l’enfant et diamétralement opposée, une crucifixion avec les deux
Maries. Enfin une rangée de hautes palmettes épaisses court au bas de la
cloche.
Cette cloche ne nous apprend rien
de ses parrain et marraine, et la dédicace est plus brève que celle de la
précédente. Mais le nom du ou des fondeurs est une référence en soi.
Il s’agit d’une famille de
fondeurs de cloches « et sonnailles » très ancienne, originaire de
l’est de la France. Les Triadou
s’installent à Rodez dès le début du XVIIIe siècle, les fils se marient dans des familles de fondeurs,
essaiment dans plusieurs villes de l’Aveyron où ils réalisent d’importants
travaux de fonte de cloches. Certains sont restés célèbres à Montauban, Rodez,
Toulouse ou Villefranche, et les Triadou de Villefranche ont perduré jusqu’au
XXe siècle.
Pourquoi ces fondeurs connus
ont-ils réalisé une cloche pour l’église du petit village de Tamniès ? Et
pourquoi le ton impératif de la dédicace ? Autant de petites questions
auxquelles des archives écrites permettront peut-être de répondre un jour.
Mais gageons que ces deux
cloches, maintenant toutes belles et brillantes, seront le « point sur le
i » de l’église restaurée de Tamniès, et feront joyeusement honneur au
clocher, lorsque les importants travaux des lauziers et les réparations
intérieures seront terminés. Merci au
« Petit Patrimoine » de m’avoir aidée à les lire et de m’avoir fourni
les belles photos : Un vrai travail d’équipe, finalement.